Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, a fait connaitre son désaccord sur les mesures dites de « moralisation » de la vie politique, qui obligent les ministres aujourd’hui et tous les élus demain à rendre public leur patrimoine.
Ce déballage n’empêchera en rien la fraude. Avec de telles dispositions, Jérôme Cahuzac n’aurait pas été débusqué.
Je partage le point de vue de Claude Bartolone qu’il détaillait dans une interview à « Libération » mardi dernier.
Le président de l’Assemblée souhaite plutôt un contrôle efficace.
Par Charlotte Rotman
Pour Claude Bartolone, la publication des patrimoines des ministres et des élus n’est pas une «arme antifantasme» comme l’a déclaré le patron du PS, Harlem Désir… Au contraire. Le président de l’Assemblée met en garde contre l’excès de transparence.
Les ministres publient aujourd’hui leur patrimoine. Que pensez-vous de cette initiative ?
La démocratie paparazzi, ce n’est pas mon truc. On va assister au hit-parade des riches, des pauvres, de ceux qui ont réussi, pas réussi ! C’est censé être une réponse à l’affaire Cahuzac, mais la publication des patrimoines des ministres - et des élus - n’aurait rien empêché : Monsieur Cahuzac n’aurait pas déclaré un compte à Singapour. Ce sont la liberté de la presse et l’indépendance de la justice qui ont permis la révélation de cette affaire. Renforçons ces deux piliers de la démocratie.
Vous avez transmis une longue note d’alerte à Jean-Marc Ayrault sur la transparence…
Il faut modifier la règle du jeu, pour rassurer les Français sur le fonctionnement de la démocratie… mais pas en jetant les élus en pâture. Ils ne sont pas responsables du naufrage moral de Monsieur Cahuzac.
Qu’avons-nous à perdre à jouer la transparence ?
Nous n’avons rien à y gagner : cet affichage ne permet pas de démasquer les fraudeurs, et cet exhibitionnisme n’éteint pas les doutes des citoyens. L’un des pays les plus transparents vis-à-vis du patrimoine, c’est l’Italie. Cela a-t-il empêché les rumeurs d’affairisme de toucher les politiques ? Cela peut au contraire renforcer l’antiparlementarisme. Déjà, des observateurs disent que ce n’est pas suffisant, qu’il faut publier le patrimoine des conjoints, des enfants… Des dizaines de milliers de personnes peuvent se retrouver sous le feu des projecteurs.
Vous vous posez en protecteur des députés, mais certains ont déjà publié leur patrimoine…
Vu les messages que je reçois, je pense que ma position est majoritaire. Certains m’encouragent aussi, car ce n’est pas si facile de se positionner avec autant de liberté de ton. Mais c’est mon rôle. Je ne crois pas qu’il y ait un clivage générationnel chez les députés, mais peut-être que les élus plus jeunes sont moins gênés de déclarer leur patrimoine… car ils sont moins dotés, comme me confiait l’un d’eux. En fait, plus ça avance, plus je me sens renforcé. Parce que je vois, hélas, de plus en plus d’éléments qui contribuent à ce climat d’antiparlementarisme. En Bretagne, un député tondait sa pelouse dans son jardin, quand un voisin lui a dit : «Ah, on va enfin voir combien vous avez acheté votre patrimoine !» Tout cela crée une ambiance. Un climat de suspicion.
Justement, si cette suspicion existe, votre réticence à la publication des patrimoines n’est-elle pas de nature à l’alimenter ?
Non. Le voyeurisme ne permet pas de répondre à la crise politique. L’affaire Cahuzac a surpris, a déçu, mais ce n’est pas elle qui explique la défiance des Français vis-à-vis de la politique. Ils attendent de l’énergie et des résultats sur l’emploi, le pouvoir d’achat, la transition énergétique, la réorientation européenne…
Davantage de transparence ne contribue pas à pacifier les esprits ?
Cet étalage spectacle n’est pas de nature à rassurer. C’est le contrôle que les Français attendent. Un contrôle efficace. Pas cosmétique. Je compte davantage sur le travail de la Haute Autorité de la transparence de la vie publique, qui doit être dotée de réels moyens d’investigation. Elle doit pouvoir recourir aux ressources de l’administration fiscale, être indépendante mais rendre des comptes devant l’Assemblée.
N’est-ce pas un manque de confiance de votre part envers les citoyens qui se moquent de savoir si les ministres sont riches ?
Non, je leur fais confiance. Ils savent faire la différence entre la faillite morale d’un homme et la responsabilité collective. Mais regardez à la marge. En parcourant les sites internet, vous allez voir qu’on dit tout et n’importe quoi : il se dit même que je serais un ancien préfet à la retraite !
Quels mécanismes de prévention et de contrôle faut-il privilégier ?
J’ai fait plusieurs propositions. Dès mon élection, j’ai réformé la «réserve parlementaire» pour faire sortir du secret l’utilisation de cette enveloppe globale de 90 millions dont peuvent bénéficier les députés. Maintenant, on parle de sa suppression. Pourquoi pas ? Je n’ai pas la science infuse. La commission des lois va travailler sur ces sujets : conflits d’intérêts, déclarations d’intérêts financiers et d’activités. Pourquoi pas un plafond de rémunération pour les activités, qui à mon avis, doivent rester compatibles avec le mandat de député, - même pour les avocats - mais à la condition d’être déclarées. Nous avons un créneau au Parlement pour obtenir, je l’espère, une loi de consensus national. Une loi constructive, pas punitive.
Et votre patrimoine à vous ?
Publier mon patrimoine, ce serait céder à ce syndrome du populisme contre lequel je me bats. J’habite une maison en Seine-Saint-Denis depuis quinze ans. Pour la première fois, ce dimanche, j’ai vu des gens passer devant chez moi pour prendre des photos. On en est là.